(Dé)mondialisation 3.0
10 TENDANCES POUR 2023
Comme nous l’avons évoqué au cours des dernières années, divers facteurs combinés changent la façon dont les producteurs et consommateurs voient le monde. Des moteurs économiques, politiques et sociaux refaçonnent les attitudes face au risque selon des façons qui modifient les modèles d’échange et d’investissement, avec de fortes implications en immobilier. 2022 a apporté son lot de tournures nouvelles et regrettables à la table de discussion.
En 2020, nous soutenions que la tendance à la mondialisation, vraisemblablement le facteur qui définit l’environnent d’affaires des 50 dernières années, avait atteint son apogée. La plupart des « victoires faciles » issues de l’expansion des règles de couverture de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ont été obtenues, et les coûts salariaux en hausse ont commencé à éroder les avantages financiers de nombreux emplacements manufacturiers étrangers traditionnels. La montée du nationalisme économique, mise en relief par le Brexit et les politiques de Donald Trump, reflétait aussi les préoccupations sociales vis à vis l’effet sur l’humain et l’environnement des modèles de production mondiaux. La demande des consommateurs pour une plus grande sensibilisation sociale et environnementale de la part des entreprises qu’ils soutiennent a encouragé une réorientation des priorités.
De juste-à-temps à juste-au-cas.
En 2021, ces moteurs étaient mis en évidence par les effets de la COVID-19.1 Nous affirmions à l’époque que le plus important effet de la pandémie à long terme serait celui sur les chaînes d’approvisionnement. Les fermetures d’usines et les perturbations des transports ont mis en lumière la fragilité des réseaux d’approvisionnement. Une étude d’Infosys a conclu que 85 % des chaînes d’approvisionnement étaient affectées d’une façon ou d’une autre2, et les débats sur l’efficacité des réseaux ont rapidement été remplacés par une attention à la résilience, de « juste à temps » à « juste au cas ». Les multinationales ont dû repenser leur empreinte mondiale pour trouver un nouvel équilibre entre l’efficacité des coûts et celle en affaires.3 Les discussions sur la régionalisation et la localisation pour limiter les risques en rapprochant les chaînes d’approvisionnement du point d’arrivée reflétait aussi l’importance commerciale de la délocalisation de proximité. Celle-ci permet de plus courts délais de livraison et une plus grande localisation des produits. Les entreprises peuvent donc répondre aux demandes du consommateur et réagir aux tendances plus rapidement.
Si les premiers mois de 2022 ont vu des améliorations aux chaînes d’approvisionnement mondiales, la bonne nouvelle n’a pas duré. En plus des confinements incessants en Chine, dont on ressent encore les ramifications économiques et politiques, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a causé des remous dans les marchés mondiaux des produits de base et a accentué les tensions géopolitiques. Les prix du blé ont atteint un record des neuf dernières années et le pétrole brut a atteint 100 $ le baril.4 Le commerce a ralenti avec les déroutements du fret aérien et la diminution des transports ferroviaires en Russie, limitant les réseaux d’approvisionnement.5 Les marchés alimentaires et énergétiques ont subi d’importants contrecoups, mais peu d’industries sont demeurées indemnes, le conflit en Ukraine étant l’un des moteurs principaux de l’inflation, laquelle constitue le facteur macroéconomique omniprésent ces douze derniers mois. Contrairement à la pandémie, cependant, on a moins l’impression d’un possible retour à la « normale ». La question du « où et avec qui » on fait du commerce est de plus en plus complexe depuis quelques décennies, mais les effets combinés de la guerre en Ukraine et la COVID-19 ont rendu le sujet plus politique.
Le concept de « délocalisation en zone alliée » a donné un nouvel élan au réalignement des chaînes d’approvisionnement.
L’intégration mondiale accélérée par la chute de l’ancienne Union soviétique et l’entrée de la Chine dans l’OMC a été mise à mal par l’escalade des tensions géopolitiques. Celle-ci a mené les intérêts publics et privés à repenser leurs relations commerciales avec des pays qui ont des points de vue politiques divergents ou des objectifs qui semblent de plus en plus éloignés de ceux des grandes économies occidentales. Le concept de « délocalisation en zone alliée » a donné un nouvel élan aux discussions sur le réalignement des chaînes d’approvisionnement, avec une dimension ouvertement politique.
Aux États-Unis, le gouvernement Biden a entrepris l’estimation des zones de vulnérabilité et de résilience des chaînes d’approvisionnement considérées critiques à l’économie nationale, avec l’accent sur la fabrication de semiconducteurs, de batteries à forte capacité, de minéraux et produits pharmaceutiques critiques. Les résultats indiquent que « les faiblesses structurelles des chaînes d’approvisionnement intérieures et internationales menacent la sécurité économique et nationale des États-Unis ».6
Une plus grande attention est portée aux chaînes d’approvisionnement de proximité.
Les subventions et prêts de programmes nouveaux comme existants ainsi que des marchés publics sont donc dirigés vers les secteurs prioritaires.7 La secrétaire du Trésor Janet Yellen a indiqué que les efforts du gouvernement pour la flexibilité des chaînes d’approvisionnement se concentreront sur la délocalisation en zone alliée pour protéger les corporations et les consommateurs intérieurs « des hausses de prix et des perturbations causées par les risques économiques et politiques ».8 La consolidation des liens avec les pays considérés des alliés est perçue comme une partie essentielle du processus, réduisant la dépendance à ceux qui peuvent être des partenaires commerciaux moins fiables en période de tension économique ou politique.
En réponse aux soubresauts de l’approvisionnement mondial et au changement des attitudes sociopolitiques, on considère de plus ne plus les chaînes d’approvisionnement de proximité. Une étude menée en juin 2022 indique que :
40 % des marques américaines incluent la délocalisation de proximité dans leur stratégie d’approvisionnement pour 2023.9
Parallèlement, 50 % des manufacturiers européens ont indiqué vouloir délocaliser leurs chaînes d’approvisionnement pour plus de proximité en 2023.10
74 % des producteurs du R.-U. font face à des frais d’expéditions plus élevés, ce qui suscite l’envie de délocaliser les installations.11
Il y a une panoplie d’exemples d’investissements importants effectués dans de nouvelles installations de production aux États-Unis12 et en Europe, y compris :
Intel
L’investissement de 20 G$ d’Intel dans son premier nouveau site de fabrication en 40 ans, à Columbus en Ohio13
General Motors
Le projet de 7 G$ de General Motors de construire des cellules de batterie et des véhicules électriques au Michigan14
MP Materials
L’investissement de 700 M$ de la société minière de terres rares MP Materials pour établir une chaîne d’approvisionnement complète entièrement intérieure pour les aimants permanents utilisés dans les moteurs de véhicules électriques et dans les éoliennes
Schneider Electric
Schneider Electric investit plus de 100 M$ dans diverses installations de produits électriques partout aux É.-U. dans le cadre d’une stratégie pour raccourcir ses chaînes d’approvisionnement.15
John Deere
Le fabricant d’équipement agricole John Deere déplace sa production de véhicules présentement faits en Chine vers la Louisiane
Volvo
En juillet, Volvo a annoncé ses projets d’ouvrir une nouvelle usine de véhicules électriques en Slovaquie, indiquant une volonté de faire la transition de ses usines qui sont présentement en Chine.16
Cependant, comme nous en discutons dans notre plus récente analyse sur la délocalisation de proximité aux États-Unis17, les signes de délocalisation d’installations auparavant à l’étranger demeurent limités, du moins pour le moment. Les défis pratiques associés au dénouement de liens d’approvisionnement mondiaux complexes et le remplacement ou la recréation de la production outremer sont plus importants que le discours de délocalisation l’indique, même si l’analyse financière ajustée selon les risques tient la route, ce qui n’est pas toujours le cas. Des changements importants aux chaînes d’approvisionnement sont en cours, mais prendront du temps à paraître dans les modèles de production et de distribution.
Les signes de délocalisation d’installations demeurent limités.
Deux problèmes principaux
Cela dit, il y a des domaines où deux problèmes qui dominaient les grands titres en 2022 s’additionnent pour donner des effets à long terme sur l’immobilier : l’inflation et la crise climatique. La hausse mondiale de l’inflation l’an dernier était fortement entraînée par l’augmentation des prix des aliments et de l’énergie, lesquels ont poussé les gouvernements à se concentrer sur leur degré de dépendance aux chaînes d’approvisionnement mondiales, qui semblent maintenant plus vulnérables face à la géopolitique que par le passé. La perturbation de l’approvisionnement en essence de la Russie issue du conflit en Ukraine, combinée au besoin de décarboner la production d’énergie, fait redoubler l’attention envers notre sécurité énergétique et les sources d’énergie renouvelable.
Tout cela se déroule de diverses façons autour du globe, mais l’attention renforcée sur les énergies vertes et nucléaires suscitera des investissements importants et des opportunités de développement dans les grandes puissances économiques. Comme le souligne McKinsey, la crise énergétique des années 1970 a entraîné une nouvelle ère pour l’économie mondiale une diversification nettement accrue des marchés énergétiques mondiaux. Ils prévoient maintenant une période caractérisée par une attention particulière sur les énergies renouvelables, le réalignement régional et une compétition accrue entre les ressources.18
Une attention redoublée vis-à-vis la sécurité énergétique et des sources d’énergie renouvelables.
La sécurité alimentaire attire aussi l’attention, avec des coûts des denrées à leur plus haut niveau des dernières décennies19 et une importante remise en question de la façon actuelle d’exploiter les chaînes alimentaires mondiales.20 Le conflit en Ukraine a un impact supplémentaire au-delà de hausses du prix des céréales, étant donné que la Russie est responsable d’environ 25 % de la production mondiale d’engrais azoté.21
L’escalade des prix des denrées suscite une légère, quoique remarquable, augmentation de l’agriculture urbaine et verticale. Le marché mondial de l’agriculture verticale devrait s’accroître à 9,7 G$ d’ici 2026, une augmentation de 6,6 G$ de la taille actuelle.22 Le Royaume-Uni abrite présentement la plus vaste installation et l’exploitant britannique Shockingly Fresh s’est engagé à construire 40 entrepôts de plus pour ses installations uniquement.23 Cette année, American United Natural Foods Inc. (UNFI) a annoncé un partenariat avec Square Roots pour intégrer l’agriculture verticale à ses chaînes d’approvisionnement. La première installation intérieure de Square Roots totalisera 20 000 pieds carrés au Wisconsin et devrait ouvrir en 2023. Cette installation est située de façon à desservir les clients détaillants de UNFI au Wisconsin et au Minnesota.24 Comme l’argent de ce secteur prend de l’ampleur, on verra une demande accrue pour des superficies d’entrepôt situées près des artères de transport et des centres de distribution alimentaire. La régionalisation et la localisation réduiront l’empreinte carbone des chaînes d’approvisionnement et pourrait comporter des avantages socio-économiques importants pour les collectivités locales.
Sous tension
Combinée à la pression de maintenir des niveaux élevés de stocks en raison des défis soutenus pour les chaînes d’approvisionnement qui sont moins robustes que l’on croyait, ces changements semblent maintenir la pression sur un marché immobilier industriel qui subit déjà une demande sans précédent, surtout dans les pôles de transport prometteurs et les marchés portuaires.25
Aux États-Unis, les taux de disponibilité étaient de l’ordre de 2 % à la fin de 202226 et à des niveaux similaires dans la zone euro27, alors que les locations de grands entrepôts de grande qualité dépassaient largement la moyenne.28 Le secteur subit toujours un grand changement structurel entraîné par la transition au commerce en ligne, mais ces influences géopolitiques devraient entraîner une plus forte évolution de l’un des segments immobiliers les plus dynamiques.
1https://avison-young.foleon.com/2021-forecast/real-estate-trends/deglobalization/ 2https://www.infosysconsultinginsights.com/wp-content/uploads/2020/08/covid-19-supply-chain-impact-survey_infosys-consulting.pdf 3https://www.imf.org/en/Publications/WEO/Issues/2020/04/14/weo-april-2020
4https://www.dw.com/en/how-russias-invasion-of-ukraine-rocked-commodity-markets/a-61235041 5https://blogs.worldbank.org/developmenttalk/how-war-ukraine-reshaping-world-trade-and-investment
6https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2021/06/08/fact-sheet-biden-harris-administration-announces-supply-chain-disruptions-task-force-to-address-short-term-supply-chain-discontinuities/
7https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2022/03/04/fact-sheet-biden-harris-administration-delivers-on-made-in-america-commitments/
8https://home.treasury.gov/news/press-releases/jy0880
9https://www.qima.com/qima-news/news-q3-2022-barometer
10https://www.qima.com/qima-news/news-q3-2022-barometer
11https://www.cips.org/supply-management/news/2022/september/why-the-uk-is-facing-a-tidal-wave-of-nearshoring/
12 https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2022/03/04/fact-sheet-biden-harris-administration-delivers-on-made-in-america-commitments/
13https://techcrunch.com/2022/06/01/how-intel-landed-in-columbus/
14https://www.gm.com/stories/manufacturing-ultium-evs-trucks#:~:text=Driven%20by%20our%20vision%20to,and%20electric%20vehicle%20manufacturing%20capacity.
15https://www.industryweek.com/leadership/companies-executives/article/21252741/schneider-deere-investing-76m-in-reshoring-projects
16https://fortune.com/2023/01/11/how-covid-changed-supply-chains-forever-distinguished-professor-just-in-case-just-in-time-onshoring-technology/
17 Avison Young U.S. Re-shoring and Near-shoring Review https://www.avisonyoung.us/reshoring-nearshoring-changing-logistics-of-manufacturing-in-america-post-pandemic
18On the cusp of a new era? | McKinsey 19Food and Agriculture Organisation’s (FAO’s) Food Prices Index https://www.fao.org/worldfoodsituation/foodpricesindex/en/ 20https://www.ft.com/video/21b95eed-77b6-49b1-afea-1f022946d77b 21https://www.npr.org/2022/09/28/1125525861/how-the-war-in-ukraine-is-affecting-the-worlds-supply-of-fertilizer 22https://www.nytimes.com/2022/04/06/business/vertical-farms-food.html 23https://www.theguardian.com/environment/2021/oct/18/its-not-as-carbon-hungry-uks-largest-sunlit-vertical-farm-begins-harvest 24https://www.supermarketnews.com/issues-trends/unfi-deploy-indoor-farms-distribution-centers 25https://www.naiop.org/Research-and-Publications/Reports/Seeing-Past-the-Pandemic-Industrial-Demand-and-US-Seaports 26Avant by Avison Young 27https://www.reutersevents.com/supplychain/supply-chain/european-logistics-vacancy-rates-hit-new-low#:~:text=Average%20vacancy%20rates%20for%20logistics,the%20third%20quarter%20of%202022. 28https://www.avisonyoung.com/experience/research-uk/big-box-bulletin-q3-2022/occupier-data
Politique relative à la vie privée | Conditions d'utilisation | © 2023 Avison Young (Canada) Inc. Tous droits réservés.